L'Allumage des Trois Piliers
« L'allumage des trois piliers »
Je me sentais bien dans les entrailles de la terre, quelques instants avant les trois voyages.
Je me suis demandé depuis si je n'avais pas envie de revivre mon parcours initiatique, de le goûter, de m'en imprégner, de découvrir ou de redécouvrir, un par un, les symboles qui ornent cette loge. Ces visages qui accueillent et recueillent mon engagement. Ces gestes si fébrilement esquissés et ces lumières qui éclairent mes premiers pas vers LA lumière.
Mais il me faut avancer. Avancer vers vous. Travailler avec vous.
Il faut travailler, tailler sa pierre, choisir ses outils, les étudier, les respecter. Prendre le temps d'intégrer, de réfléchir, de se bâtir.
Comme il n'y a pas de fin à l'initiation, il n'y a pas une fin à la vie d'Apprenti.
L'Apprenti ne laisse pas sa place au Compagnon, il en est toujours la base. La première pierre à tailler.
Et les fondations ne disparaissent pas quand l'édifice grandit. Elles deviennent plus fortes, plus indispensables, plus présentes aussi.
Travailler au degré d'apprenti c'est le moyen de retravailler sans cesse les fondations de notre engagement.
Il s'agit bien là de la construction d'un édifice.
Edifice de soi, construction de soi, long travail sur soi.
« Que la sagesse préside à la construction de notre édifice »
« Que la force le soutienne »
« Que la beauté l'orne »
« L'allumage des trois piliers ».
Tel est le sujet de ma planche.
Comment travailler et choisir entre tous ces symboles qui s'offrent aux yeux de l'Apprenti ?
Que de symboles et de pensées résumés dans ce sujet. « L'allumage des trois piliers »
La symbolique des trois piliers est reprise souvent comme le fondement ou les fondations d'une œuvre.
- La vie cistercienne repose dit-on, sur trois piliers : L'office liturgique, la lecture divine, le travail.
- Plus récemment, dans un livre dédié au développement durable, son auteur précise qu'en la matière, le développement humain reposerait sur trois piliers : Economique, social et environnemental.
Les autres exemples sont légions, intégrant toujours des notions d'intelligence, de communauté et de travail.
- En Provence, la tradition veut que le soir du 24 décembre, on dresse 3 nappes blanches éclairées de 3 bougies, agrémentées de 3 soucoupes de blé symbolisant la fécondité, la fertilité, la fraternité.
- L'église primitive reposait, elle aussi, sur trois piliers assimilés à Jean, Jacques et Képhas (Simon Pierre).
C'est aussi la force symbolique du chiffre 3, déjà présent sur des objets celtiques du IVème siècle avant JC, sur des céramiques Egyptiennes Crétoises ou Grecques.
Mais il s'agit le plus souvent des trois points disposés en triangle.
En travaillant cette planche j'ai longtemps hésité à me fixer sur l'un ou l'autre des symboles.
Travailler sur l'allumage ? Sur les trois piliers, les lumières ? Sur la sagesse, la force, la beauté ?
Certes chacun de ces symboles peut être une base de travail, de réflexion. Mais ils sont aussi un ensemble, un symbole dans leur ensemble. Un tout divisible et indivisible.
- L'Allumage
C'est la mise en lumière, l'éclairage, le commencement, l'ouverture des travaux
- Les trois piliers
Trois piliers qui marquent trois angles du pavé mosaïque donnant ainsi les dimensions sur lesquelles nous allons travailler, bâtir.
L'horizontal et le vertical.
Trois piliers qui révèlent le chemin de lumière et le sens de l'œuvre. Du plan du sol à l'élévation
Les piliers, une fois allumés, font briller trois lumières. Trois lumières différentes et pourtant tellement associées aux trois grandes lumières : le volume de la loi sacrée, l'équerre et le compas.
Lumières qui éclairent la sagesse, lumières qui font luire la force, lumières qui illuminent la beauté
Ces trois lumières au-dessus de ces trois piliers ne sont pas des lumières ni des piliers qui ornent la loge. Ils sont LA LOGE.
Trois dimensions spirituelles.
Trois dimensions que nous saluons à l'ordre en entrant dans le temple
- La Sagesse, le V:. M:., la connaissance, le savoir
- La Force, le 1er Surv:., la maîtrise, la volonté
- La Beauté, le Second Surv:., la construction,
Nous sommes à la fois portés par ces trois piliers et Nous sommes ces trois piliers.
Nous sommes guidés par ces trois lumières et Nous sommes ces trois lumières
Il y a au moins deux grandes dimensions dans l'allumage des trois piliers :
- Les piliers qui symbolisent la verticale, l'élévation. Ceux que l'on voit en entrant dans le temple. Alors que l'on tourne le dos à deux autres colonnes qui s'élèvent de part et d'autre de l'entrée.
« Ces deux colonnes », nous dit le référent livre de Jules Boucher, « sont d'une dimension telle qu'elles doivent nous avertir que la sagesse et
la puissance – ou la force - du divin architecte sont au-dessus des dimensions et du jugement des hommes »
On retrouve donc dans la symbolique de ces deux colonnes la Sagesse et la Force.
- L'autre dimension se trouve dans les lumières.
« Qu'avons nous demandé lors de notre première entrée dans le temple ? »
« La lumière V∴ M∴ »
Lumières qui est et qui sont omniprésentes dans le rituel.
C'est Une lumière, celle que nous avons souhaité. Celle vers laquelle nous allons et ce sont Des lumières.
Celles qui nous accompagnent dans notre rituel.
Ce sont d'abord les deux grands luminaires – le soleil et la lune - que nous voyons briller de part et d'autre du Vénérable et qui figurent sur le tableau de Loge.
Sur ce même tableau apparaissent trois fenêtres : à l'Orient, au Midi et à l'Occident.
L'Apprenti est toujours intrigué par ces fenêtres qui laissent passer symboliquement la lumière alors qu'elles ne sont pas présentes sur les murs de la loge.
Ce sont d'ailleurs les seuls symboles figurant au tableau de loge, au grade d'apprenti, et qui ne sont pas reproduits ni présents dans la loge.
Si le pilier de la sagesse est face à l'Orient, c'est le pilier de la beauté qui du midi éclaire le septentrion comme la fenêtre du midi éclaire l'apprenti.
Comme l'Apprenti franc-maçon a besoin de lumière, l'homme profane est toujours et a toujours été en quête de lumière, intérieure et extérieure.
« Celui qui marche dans les ténèbres ne sait où il va.
Pendant que vous avez la lumière, croyez en la lumière, afin que vous soyez des enfants de lumière »
(Jean, psaume XII, versets 35-36)
Rejetant la tradition religieuse, les philosophes français, dont Voltaire, Montesquieu et Rousseau, fondent la connaissance sur l'expérience et la raison.
Cette période de la civilisation européenne couvrant la fin du XVIIème siècle et le début du XVIIIème est appelée « siècle des lumières ».
L'expérience et la raison sont alors l'expression de la sagesse. Et la sagesse est lumière.
On peut se demander si ce siècle n'eut pu s'appeler siècle de « La lumière » ou siècle de « La sagesse »
Pour atteindre et faire briller sa propre lumière, la sagesse est la base de la réflexion, la force est nécessaire pour chercher, avancer sur le chemin,
la beauté est ce que l'on donne de soi, un aboutissement de ses propres valeurs, de sa pensée.
- La Sagesse. Du latin sapius, sapiens. En est la dénomination de notre sous-espèce. La sapience, vertu, comportement de la raison
« La liberté intellectuelle ou sagesse, c'est le doute »
disait le philosophe ALAIN
C'est aussi l'humilité, la conscience, la connaissance des limites de l'humain.
- La Force.
« Notre volonté est une force qui commande à toutes les autres »
nous dit BUFFON cet écrivain philosophe et naturaliste.
C'est la volonté, l'ambition, le courage aussi.
- La Beauté.
« La beauté intérieure est la lumière de ton cœur ».
C'est la réalisation, l'accomplissement, l'harmonie.
La beauté est le fruit de la force et de la sagesse.
L'ambition de chacun est de construire sa vie, de se construire soi-même.
Le besoin d'élever, de s'élever, avec sa sagesse, ses limites, sa force, pour atteindre la beauté de la réalisation.
La sagesse est relative, la force est relative, la beauté est relative.
Il n'y a pas une sagesse, une force ni une beauté.
Il y a LA sagesse, LA force et LA beauté
Sur les trois piliers qui symbolisent les bases de notre travail, les lumières ouvrent aux travaux, aux échanges, à la construction, aux apports
de chacun pour un édifice commun.
Lorsque l'Apprenti devenant Compagnon, accède enfin à la parole, c'est comme si la parole était le devenir de la lumière de l'être.
Les mots deviennent alors des grains de lumière qui nous éclairent.
Dans la Genèse, l'être se fait parlant en même temps qu'éclairant et lumineux.
« Soit la lumière ». Est un des points communs des trois monothéismes, selon Daniel Sibony.
Cette lumière qui est aussi le verbe, parole, créatrice et organisatrice de l'Univers.
Cette lumière, parole qui éclaire les ténèbres, qui donne force, beauté et sagesse et qui est l'essence même de la vie.
« Votre lumière est ma lumière ».
« Ma lumière est aussi la vôtre. »
On choisit ou on personnalise l'intensité, mais on partage la lumière comme on partage la parole.
« La lumière serait-elle cette conscience qui rend concret l'indicible ?
Serait-elle cette conscience de nous-même qui s'élargit aux autres jusqu'à la conscience de l'éternelle universalité ? »
, écrit Alain Pozarnik.
Après l'exil et le voyage, après l'accueil, voici La lumière.
Tel Sarastro révélant à Tamino après son parcours initiatique :
« Celui qui ne goûterait pas une telle leçon n'est pas digne de devenir un homme ».
En travaillant sur l'allumage des trois piliers, je me suis demandé quel pourrait être le quatrième pilier qui viendrait terminer ce rectangle et finir d'encadrer le pavé mosaïque.
Un pilier invisible, comme l'étoile ultime que l'on découvre un soir et qui enfin révèle à nos yeux la constellation que nous ne percevions pas.
Invisible, il l'est matériellement à mes yeux aujourd'hui.
Et si autant qu'invisible il était présent ? Que serait-il ?
Puisque j'ai le droit de douter…Le droit de me tromper… Et que j'ai la chance de chercher,
Je ne me suis pas construit une réponse. Je me suis laissé attirer par une évidence.
Le quatrième pilier c'est Nous, c'est Vous.
Le quatrième pilier, surmonté de sa lumière qui s'éclaire à l'ouverture de nos travaux, c'est la fraternité qui brille dans les yeux de mes frères pour m'aider à m'élever à la hauteur de notre édifice.
Daniel Cha
23 février 6005