Le Fil à Plomb

 

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Le Fil à Plomb issu du latin « per-pendiculum » signifiant « être suspendu » sert à matérialiser en un point, la verticale générée par la force de gravité. Mais n’est-ce pas également l’état du jeune apprenti d’être « suspendu » au milieu de ses doutes, de ses interrogations et de ses hésitations, sa récente initiation l’ayant dépourvue de bon nombre de ses certitudes et amené à se remettre profondément en question. Tel un enfant venant de naitre, il flotte, suspendu, au centre de cette myriade de nouveaux outils et concepts qui lui ont été révélé, ayant plus que jamais besoin de faire appel aux lumières de ses frères.

Connu des premiers bâtisseurs, il y à plus de 3 000 ans, le Fil à Plomb composé alors d’une planchette et d’un peson était couramment utilisé par les artisans Egyptiens. Nos ancêtres, bâtisseurs de cathédrales, utilisaient quand à eux une masse de plomb de forme cylindrique lestant un fil de lin passant à travers une poignée. Plus récemment, les maçons de nos chantiers du XXIème siècle utilisent un fil à plomb dont la masselotte cylindrique d’acier est suspendue à un cordeau coulissant dans un carré de métal percé en son centre. Enfin, les bâtisseurs des « cathédrales de la finance » que sont les tours de bureaux érigées dans nos citées actuelles, utilisent désormais un Fil à Plomb laser ou zénithal. Fil et plomb ont disparus au profit d’une ligne lumineuse joignant nadir et zénith et matérialisant la verticale.

Sur mes chantiers, mes ouvriers, utilisent quotidiennement leur Fil à Plomb afin de s’assurer que leurs banches ou que les murs en parpaing qu’ils montent sont bien verticaux et droits. Depuis la nuit des temps, il a été nécessaire de pouvoir s’assurer à l’aide du Fil à Plomb que les pierres brutes puis taillées puissent s’assembler harmonieusement afin que la construction s’élève vers les cieux en toute stabilité, avec force et beauté. De la même façon que cela l’est pour le maçon opératif, en Loge, l’initié, par le travail effectué sur lui-même afin de tailler sa pierre brute, va pouvoir ériger son temple tout en s’assurant que cette pierre (lui-même) puisse s’assembler aux autres (celle de ses frères) avec harmonie.

Si l’on veut bien désormais examiner plus en avant notre outil, il n’aura échappé à personne qu’il est duale puisque constitué de deux éléments opposés que sont le « fil » et le « plomb ».

Le plomb, élément chimique de la famille des cristallogènes, de symbole Pb et de numéro atomique 82 est un matériau particulièrement lourd. On parle volontiers d’un « soleil de plomb », d’un « sommeil de plomb ». Celui-ci évoque la lourdeur et nous guide naturellement vers le bas, vers les entrailles de la terre. Lors de l’initiation, durant « l’Epreuve de la Terre », à travers la formule hermétique V.I.T.R.I.O.L. (Visita Interiora Terrae, Rectificando Invenies Occultum Lapidem) cette voie est préfigurée au Postulant.

Mais pour quoi ?

Pourquoi nous invite-t-on ainsi, à réaliser ce voyage aux accents Jules Vernien ?

Dans nos démocraties occidentales dont la France fait partie, il nous est dit que nous sommes libres : libre d’agir et surtout de penser. L’homme profane le croit. En effet, il est convaincu de réfléchir et de penser librement et par la suite d’agir en pleine conscience, de son propre gré. En fait, depuis sa naissance chaque individu est baigné dans un environnement qui au fil des jours va forger son caractère, sa personnalité, voire graver au plus profond de lui des programmations. L’éducation parentale, religieuse, l’école, les média, les amis fréquentés et surtout les bonnes et les mauvaises expériences de notre enfance font partis de ces éléments qui vont inscrire en nous des craintes inconscientes et des processus de défense réflexes. Les expériences pénibles, blessantes, voire humiliantes génèrent des peurs que notre psychisme s’attache à combattre en mettant en place des programmations réflexes inconscientes, destinées à éviter de devoir  se retrouver confronté à ces difficultés. Simultanément à cela, notre ego se développe et est d’autant plus fort que nos craintes sont vives. Adulte, nous prenons quotidiennement de multiples décisions et réagissons aux aléas, peines et joies de la vie d’une façon que le profane considère comme pleinement raisonnée et libre alors qu’il n’en est rien. L’être que nous croyons piloter est en fait pourvu de programmes cachés qui prennent le dessus lors des situations de stress et nous font bien souvent réagir de façon passionnelle au détriment de la raison. Nous ignorons combien nos certitudes, nos émotions, déforment la réalité et combien notre vision des évènements et des personnes est déformée par le prisme de notre ego.

Faire un état des lieux, et essayer de comprendre nos propres mécanismes, est le début incontournable du processus nous permettant de reprendre le contrôle et de remettre de l’ordre dans ce chaos.

Pour cela, il s’agit de mettre les choses à nu grâce à l’introspection décapante du V.I.T.R.I.O.L (ancien nom de l’acide sulfurique). Ainsi, en pénétrant jusqu’au centre des choses, en nous retirant en silence, en nous abstrayant de l’agitation du monde qui nous entoure, nous parvenons en rentrant en nous même à réfléchir et à pouvoir cheminer sur la voie de notre connaissance. L’injonction de Socrate gravée sur le fronton du temple de Delphes « connais-toi toi-même » prend ainsi tout son sens. C’est en effet le préambule à toute progression personnelle. C’est par l’introspection, la descente en nous-mêmes, vers nos recoins les plus ténébreux, que nous allons pouvoir nous découvrir et apprendre réellement à nous connaître. Nous allons débusquer la part sombre qui nous anime et qui se révèle, bien souvent, être notre principal ennemi, ainsi que la scène du miroir le rappelle au Néophyte lors de l’initiation.

Mais cette introspection est difficile. Ce regard à tourner au-dedans, à du mal à y voir clair. Aussi, nous pouvons nous saisir simultanément d’un autre outil qui va de paire avec notre Fil à Plomb : le Silence. En effet, l’écoute silencieuse, qui devient ainsi active, va nous aider à mieux nous percevoir. A travers le regard des autres, la perception que les autres ont de nous, nous allons pouvoir cheminer vers notre propre connaissance. Tel un miroir, les autres vont nous renvoyer une image de nous même, certes partielle, mais qui comparée à notre propre vision va nous aider à élargir notre perception. Pour y parvenir, l’écoute de l’autre, au-delà de la parole, à travers ses réactions, son comportement, ses points de vu est nécessaire. L’écoute active, en silence, accroissant notre compréhension, va élargir notre perception et nous permettre en retour, de jeter un regard sur nous même sous un autre angle, en nous positionnant d’un autre point de vu. Ainsi, il nous sera plus aisé de contourner nos blocages, nos interdits, nos peurs, et de plonger en nous même.

Le fil quand à lui est ténu et fragile. Comme celui d’Ariane, il nous montre la voie salvatrice, le chemin menant vers la lumière à travers le labyrinthe obscure de nos ambitions et de nos passions. Telle une corde magique, le fil se déroule du nadir au zénith afin que nous puissions sortir des entrailles ténébreuses de la terre pour rejoindre la lumière des cieux. Si le plomb sous-tend que le poids de notre égo et de nos turpitudes est important, la fragilité du fil souligne combien notre quête et la persévérance (invoquée dans le cabinet de réflexion) sur la voie du bien et de l’élévation demeure difficile.

Cette voie salvatrice, nous allons la trouver à travers la connaissance de Soi. En prenant conscience de nos défauts et de nos faiblesses, nous apprenons à les gérer, voire à les amoindrir. Nous allons laisser nos angoisses et nos peurs faire surface et être ainsi en mesure de les apprivoiser, de les domestiquer, puis de les dompter et de les maitriser tout comme l’ensemble de nos passions. Nous allons pouvoir progressivement nous débarrasser des préjugés et des programmations liées à notre enfance, à notre éducation, à notre culture, et aux pressions sociales. Dès lors, nous devenons enfin en mesure de développer nos qualités et de reprendre le contrôle de l’être qui nous anime. Il nous est par conséquent désormais permis d’accéder véritablement à la Liberté. En effet, il n’est pas de véritable liberté sans connaissance de nos pulsions, de nos passions, de nos peurs. Nous ne pouvons réellement nous déterminer et faire des choix raisonnés, en pleine conscience, sans connaissance réelle de qui nous sommes, de nos freins, de nos interdits, de nos peurs et de nos penchants. Mais mieux encore, cet approfondissement dans la connaissance de Soi va nous permettre de nous affranchir de notre ego tyrannique. Nous allons percevoir et comprendre combien l’ambition, la soif de reconnaissance, le besoin de posséder de façon irraisonnée, ainsi que notre société nous y pousse, est vain et ne peut que flatter et renforcer notre ego, sans espoir qu’il puisse un jour en être rassasié. S’affranchir de ces métaux qui brillent d’un éclat trompeur nous permet de nous libérer du joug de notre ego. Nous pouvons ainsi cheminer sur la voie de la vertu et de la sagesse. Gagnant en sérénité, nous devenons plus à même d’agir avec équité, de viser au nivellement des inégalités et de contribuer à élever l’état moral, matériel, spirituel et intellectuel de chacun.

Il s’agit là d’une transmutation telle celle du plomb en or, grâce à la pierre philosophale des alchimistes. Plus simplement, le travail de polissage de la pierre brute par l’initié le conduit sur le chemin de la pierre cubique.

Le plomb, vil et lourd, constituant notre outil, indique la voie de l’introspection alors que le fil, fragile et léger, telle une corde, matérialise notre désir d’ascension sur une voie difficile et périlleuse ainsi que cela l’a été évoqué au Récipiendaire lors de « l’Epreuve de l’Air ». La dualité apparente de notre Fil à Plomb entre le lourd et le léger, le nadir et le zénith, la terre et le ciel, les ténèbres et la lumière, le visible et l’invisible … trouve donc sa synthèse à travers un équilibre qui relie les deux et qui permet à l’esprit d’exister avec la matière. 

Synthèse que nous retrouvons dans la position d’ordre. En effet, le F :. M :. se trouve alors d’aplomb, les pieds d’équerre ancrés au sol, et la tête dirigée vers le ciel. Cette verticalité rappelle le chemin à parcourir, l’axe de notre Fil à Plomb, corps et esprit étant unifiés. Simultanément sa main droite sur sa gorge rappelle la nécessaire maitrise des passions réalisée par le travail d’introspection que nous venons d’évoquer.

L’imagerie populaire évoque classiquement les êtres vils et veules comme étant courbés, voutés, voire rampant tel le Gollum de Tolkien. La misère, la honte, l’accablement, nous amène à rentrer la tête dans les épaules, à courber l’échine. Nos malaises, mal être, intellectuel et psychique, se traduisent physiquement ainsi.

Inversement, ne dit-on pas d’un homme sur de lui, qu’il a de l’aplomb ?

Cette aisance dans la posture, la tenue, les gestes et la parole traduit la profonde confiance d’un homme en lui. Confiance qui se développe par la connaissance de Soi. En effet, la maitrise de nos peurs et de nos faiblesses comme évoqué précédemment, ainsi que par la suite, le développement de nos qualités amène chacun de nous sur cette voie.

Physique et psychique, corps et esprit, peuvent alors entrer en harmonie se reflétant l’un, l’autre.

 

Laurent DUR.°.

GLDF

Février 6013



29/04/2021
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