Le chemin, parcours initiatique du Compagnon,
Confronter au mystère de la vie, de la conscience des hommes, du monde terrestre, de l’Univers, l’initiation maçonnique est un des chemins qui permet de découvrir son immensité. Sur ce chemin, l’Apprenti, puis le Compagnon, apprend à mourir à son propre regard. Il appréhende ainsi une réalité qui, me concernant, m’a submergé, déstabilisé puis peu à peu m’a guidé sur le parcours initiatique.
« L’esprit sans le travail et le travail sans l’esprit ne rendirent jamais une œuvre et un ouvrier parfait » aurait écrit Vitruve ! Dans son ouvrage De architectura Vitruve fait valoir qu’une structure présente les trois qualités de firmitas, utilitas, et venustas — autrement dit forte, utile et belle.
Pour illustrer cette citation, nous pouvons penser que le travail ésotérique consiste à tracer un chemin parcourant les étapes initiatiques. Celles qui façonnent un être pour en faire un Frère ! Si nous considérons la voie hermétique comme un cheminement, nous évoquons alors sa force, son avantage, sa beauté mais aussi l’heureuse harmonie en vue de trouver la sagesse sur ce chemin de découverte.
Pour moi, le cheminement initiatique maçonnique est la quête des trois piliers : La Force, la Sagesse, la Beauté
La quête se fera par le travail qui apparaît comme la force pour passer de la sagesse à l’harmonie. L’harmonie est au cœur de la démarche. Elle montre une nouvelle voie dans l’alternative. L’initiation avec les premières années d’Apprenti donne la dynamique interne à la recherche de cette voie là. Les outils sont mis entre les mains du Compagnon pour l’éveiller et prendre cette orientation. Ils vont peu à peu l’éduquer, l’affranchir des vérités acquises, affaiblir fortement ses certitudes. Le Compagnon est en marche.
Au début de son périple, le Compagnon recherche la règle en pratiquant l’art du trait. Elle se révèle à lui par le nombre secret de l’harmonie, dit nombre d’or, divines proportions qui relient les choses entre elles. Elle devient l’outil essentiel de ses voyages. C’est par la règle qu’il perçoit les lois de la création. La règle est un guide pour ses choix, une référence pour les équilibres à mettre en œuvre. Sans elle il n’y a ni construction possible, ni présence de l’harmonie. Elle n’est pas seulement un outil de tracé, mais un outil de direction. Elle façonne la sensibilité, rectifie la vision des choses et la formulation.
Le Compagnon, tout en faisant partie d’une confrérie est un homme libre qui se déplace sans cesse, chargé de ses outils pour les découvertes et le travail. Son chemin devient un combat s’il veut réellement s’insérer dans le courant de la tradition initiatique. Ce combat passe par le développement d’une sensibilité toute particulière au mystère et qui va bien au-delà de l’acquisition des Savoirs et des Techniques.
Edifier un temple exprime la volonté d’affronter le divin, de se confronter à l’inconnu. La pensée rationnelle est impuissante devant un tel devoir, c’est par la pensée symbolique que nous pouvons y prétendre. Ainsi certaines représentations de labyrinthes sont ornées de la mention : « de fata via invenient » : Les destins trouveront leur voie. Il y a au moins deux voies pour aboutir au centre du labyrinthe. Deux chemins celui de la fulgurance et celui de la persévérance. Les alchimistes parlent de deux voies possibles, la sèche et brève et l’humide et longue. Deux voies interdépendantes qui se rejoignent au centre du mystère.
Un chemin direct qui va droit au but et un chemin tortueux représenté par des courbes sinueuses. Aucun des deux chemins ne prévaut sur l’autre. Ils vont se mêler, se relayer, se corriger, se réunir. C’est ainsi. Il y a deux natures existantes en chaque Initié. Les alchimistes les appellent l’eau ignée (ou enflammée) et le feu aqueux (ou mouillé) signifiant que ces deux natures contraires contiennent le germe l’une de l’autre. L’alchimie est de les allier afin de marcher sur le bon chemin au bon rythme. Voici donc le processus alchimique qui consiste à séparer, nommer et purifier pour ensuite rassembler.
Avec ces deux chemins en réelle complémentarité, nous avons une représentation de la dynamique du chemin initiatique. Cette dynamique engendrée par ces deux sortes de chemins s’apparente intimement à celle du nombre d’or. En effet elle peut se percevoir comme le rapport le plus opérant entre le chemin rapide et le chemin lent, pour créer une dynamique vitale découlant du juste rapport entre les deux. Cette façon de faire est celle enseignée par l’étude du nombre d’or. Elle consiste à trouver la liaison la plus juste entre les deux qualités de chemin, lent ou rapide, pour les réunir en une synthèse qui les transcende.
Pour moi, le cheminement initiatique devient une quête de la force.
Pour revenir à la dynamique par les nombres et donc trouver la force, le Compagnon que je suis a dû intégrer le passage du nombre 3 au nombre 5. Ce cheminement par le nombre crée la spirale dorée qui d’un profane fait un Frère et d’un Frère un œuvrant. La dynamique du nombre d’or tire son origine du nombre 5, mystérieuse alliance de la ternarité et de la dualité, lien subtil existant entre des éléments irréconciliables et complémentaires. Faire le choix entre un rythme lent ou rapide sans créer des zones d’ombre dans l’un ou dans l’autre a pour but d’éviter la rigidité. L’essentiel est de conserver le fil conducteur de la cadence, où lenteur et rapidité s’accordent avec la dynamique du nombre d’or. C’est elle qui donne le rythme de la vie jusqu’au moment où une fusion se réalise entre les deux voies. Alors la dynamique vitale emplit le cœur du voyageur et le chemin initiatique conduit ses pieds tout autant qu’elle crée le chemin.
Une troisième voie existe, celle du présomptueux ! Cette voie se révèle être une impasse. Oublions l’insolent, le suffisant. Le Compagnon affirme plus que jamais, comme l’a dit Socrate et que Platon rapporte : « Je sais que je ne sais rien ».
Sur le chemin initiatique, la force et l’harmonie tracent la route vers le lieu où se partagent les nourritures célestes et où se réalise la rencontre avec la lumière. La force donne l’axe de conduite. Elle anime la marche pendant que l’harmonie fait apparaitre la voie et l’exprime. Un des sens du cheminement initiatique n’est-il pas d’apprendre à connaitre les lois qui régissent la vie et l’Univers et de s’y conformer pour vivre en harmonie avec elle ?
Qu’est-ce que la force ? Elle est la noblesse de l’âme, faisant qu’en tout lieu, l’être est stable, lucide, vaillant. La noblesse de l’âme est une force essentielle exprimée par la persévérance ou la fulgurance ainsi la force est au service de l’œuvre. Elle contribue à sa création. La conciliation entre la certitude et l’incertitude pour apporter de la joie au cœur et à l’esprit ! La force permet à l’œuvre de se manifester, de se sculpter. Il faut un point d’appui à cette force pour permettre la réalisation, le passage de l’idée à sa matérialisation. Le levier est nécessaire pour passer cette étape, l’outil qui fait jaillir la lumière, qui donne la puissance à l'idée. L’idée se transforme en action qui fait passer du savoir à la connaissance, qui fait basculer le Compagnon d’Apprenti à l’élévation au degré de Maître.
La force est sur une ligne directrice qui relie la sagesse à l’harmonie, ainsi la quête de la force répond à un cheminement rituel. La quête de la force oblige le Frère à entreprendre le questionnement de l’invisible. Qu’est-ce que je ne vois pas ? Qu’y-a-t-il derrière les apparences ? Je prends conscience des abîmes comme des montagnes qu’il faudra aborder avec beaucoup d’humilité.
Pour moi, le chemin initiatique est la conquête de la juste mesure.
Elle fait que les parties s’accordent avec le tout pour réaliser un travail cohérent conforme à la règle d’assemblage enseignée par le trait.
Tout le vivant est régi selon les principes du nombre d’or, dont la spirale est l’une des représentations de l’ADN. C’est le déploiement de la création. La spirale ne se trace pas, pourtant elle est bien présente et c’est bien elle, plus que tout autre symbole, qui livre la formulation la plus juste de la dynamique vitale dont le nombre d’or est le dépositaire. Cette représentation est à l’image du cheminement initiatique : L’Apprenti sans en avoir trop conscience, plongé dans l’écoute, entend, mémorise, assimile les rituels réitérés traditionnellement. Son oreille interne en forme de spirale est le réceptacle de la parole sacrée ritualisée.
J’aime l’image de ce savoir déversé venant progresser méthodiquement par le sens de l’ouïe pour ensuite s’enrichir des autres sens au rythme du cheminement de la Connaissance, à la juste mesure.
Au cours de ses voyages spiralés, le Compagnon est invité à voyager pour découvrir l’art du trait et les secrets de la pierre cubique. C’est le parcours de la pierre cubique à l’étoile flamboyante. Le Compagnon est profondément ancré dans le voyage, la découverte, notamment les visites des autres loges afin d’approfondir les différentes manières d’y vivre le rituel. Il découvre le temple dans toutes ses dimensions. Ainsi c’est une constante, mes yeux de Compagnon voient le Maitre des Cérémonies aller quérir la lumière à l’Orient et allumer les colonnes avec un mouvement qui s’apparente à une spirale. Le chemin emprunté par la lumière pour animer le temple est une spirale.
La signification profonde des choses, le cheminement tortueux de l’individu confronté aux différentes contradictions de son existence est un parcours labyrinthique solidaire et solitaire en raison des épreuves à surmonter.
Aux premiers instants après l’élévation au grade de Compagnon, j’ai ressenti une grande déstabilisation par la profondeur et l’étendue du grade. Je pouvais m’y perdre. Du voyage accompagné de l’Apprenti à celui, nécessaire et obligé du Compagnon, j’ai vite compris, et plus lentement accepté, que personne (ou presque) ne m’indiquerait le chemin à prendre. Pas de cartes ni d’itinéraires donc, chacun sa route. C’était donc à moi seul de construire en marchant. Quelle route prendre ? : Directe, longue, fantaisiste, lente ou rapide, ou les 2 pour que la dynamique vitale emplisse mon cœur de voyageur.
Il n’y a pas de guide seulement des moyens. Il y a la prise de conscience de l’immensité en tout, soutenue par l’idée que le travail est là, comme supports secourables au moment des questions les plus profondes. C’est la quête de soi avec l’idée de mourir à son propre regard à l’aide des outils utilisés sur le chemin de l’initiation.
Thibaut SCH.°.